L’aïkido, art non compétitif

Il faut bien différencier les arts martiaux des autres sports. En tennis, en rugby, au basket, un jour on perd, mais le lendemain on prend sa revanche et l’on gagne. Cela fait partie du jeu et de son plaisir. Perdre un match de tennis n’a pas de conséquence grave. En revanche dans les arts martiaux il s’agit de défendre sa vie. Perdre peut signifier perdre la vie. Pas question donc de perdre une seule fois. Comment faire alors pour ne perdre jamais ?

Dans le domaine du sport il n’y a qu’un champion du monde par discipline. À Rolland Garros, un seul joueur gagne tous ses matchs. Tous les autres à un moment donné perdent et sont éliminés. Si je perds face à un agresseur dans la rue, je risque moi aussi d’être « éliminé », mais dans un sens plus radical du terme…comment faire alors pour ne jamais perdre ?

La réponse est simple : ne jamais chercher à gagner. Car la notion de victoire est irrémédiablement liée à la notion de défaite. Celui qui gagne un jour perdra le lendemain. C’est une loi qu’on peut considérer sans exception. Échapper à ce dualisme « victoire-défaite » est la voie proposée par l’aïkido. Soyons toutefois bien clairs et ciblons précisément l’objectif à atteindre : le but n’est pas de détruire ou d’agresser l’autre, mais de sauver notre vie. Il y a là une nuance importante. Chercher à détruire l’autre nous entraînerait d’une manière inéluctable sur le chemin de la compétition, car il est plus que probable que notre agresseur cherche lui aussi à sauver sa peau… L’aïkidoka ne cherche alors ni à tricher ni à se mentir. Il choisit la voie de l’humilité qui, paradoxalement, le conduira à une efficacité remarquable. Il ne prétend pas être plus grand et plus fort que tout le monde. Pas besoin donc de se faire des piqûres, ou d’ingurgiter des substances diverses pour être le meilleur. Non. L’aïkidoka se regarde tel qu’il est et cherche une solution : « Je suis un enfant de 8 ans, il y a des grands de 12 ans qui peuvent m’attaquer, comment faire ? ». « Je suis une femme qui peut être agressée par un individu plus lourd et puissant que moi, comment faire ? » « Je ne suis plus tout jeune et n’ai plus ma musculature d’il y a quelques années, en cas d’agression comment faire ? » Et dans tous les cas la réponse est la même : « Ne luttez pas contre l’autre, ne vous opposez pas à sa force, au contraire, absorbez-la, utilisez-la, esquivez et prolongez le mouvement de l’agresseur, vous créerez alors chez lui un déséquilibre qui vous permettra de le contrôler. Face à une attaque, faites le vide, peu importe alors la puissance de l’agresseur, son attaque ne rencontre que le vide, elle perd alors tout son sens et se détruit d’elle-même ».

Ce chemin original nous permet d’échapper aux catégories de poids des sports compétitifs, qui ne peuvent faire lutter l’un contre l’autre deux adversaires dont la différence de poids est importante. L’aïkido, par sa recherche de non victoire permet donc de se défendre face à tout agresseur et atteint alors une efficacité remarquable.

L’aïkido, art non violent

Face à une agression, physique ou autre, nous avons plusieurs manières de nous comporter. Dans la plupart des cas, il faut bien reconnaître que nous avons tendance à perdre notre calme et parfois même sommes amenés à répondre violemment. Faites ce test simple : regardez comme il est difficile dans une simple conversation, lorsque votre interlocuteur s’énerve et hausse la voix, de ne pas se laisser emporter à monter également le ton et de continuer à parler sur un ton calme. Si l’agression est physique et que nous répondons violemment, nous ne désamorçons en aucun cas la situation. Bien au contraire, nous ne faisons que l’envenimer, car notre agresseur perçoit la violence que nous avons utilisée, se sent agressé à son tour, et nous voilà engagé dans un cercle vicieux dont il est bien difficile de sortir. Et si par hasard dans notre défense nous avons été efficace au point de l’envoyer 3 mois à l’hôpital, dans sa chambre, sur son lit, une seule pensée le taraude : l’idée de la vengeance. Dès sa sortie, il reviendra, nous cherchera, avec ses frères et ses cousins si besoin est, mais le conflit ne cessera pas. Dans les petits villages de campagne, il y a des familles qui sont fâchées ainsi depuis des générations. La source du conflit a été oubliée depuis longtemps, mais la haine est toujours là.

L’aïkido nous propose une autre approche de la gestion des conflits. Approche qui nous demande il est vrai un peu de maîtrise de soi. Mais la solution proposée permet de mettre fin de manière durable à la situation conflictuelle. Nous entrons dans le cercle vicieux au moment même où nous rendons au partenaire cette violence dont il s’était débarrassé en nous frappant. Un peu comme deux soldats qui se passent à tour de rôle une grenade dégoupillée… Regardons ce qui se passe au moment de l’agression. L’agresseur pour les raisons les plus diverses a de la violence en lui. Au moment où il nous frappe, il se libère de cette violence, et quelque part, cela le calme, libère en lui une tension. Ne commettons pas alors l’erreur de lui renvoyer cette violence. Notre problème finalement, n’est pas que l’agresseur ait envie de donner des coups. Cela n’a aucune importance. Le problème serait que ses coups nous atteignent… Laissons-le donc frapper, et faisons en sorte, grâce à la qualité de notre esquive, que ses coups ne nous atteignent pas, contrôlons son attaque, canalisons-la. Et tout le monde y trouvera son compte.

Si jamais vous utilisez correctement l’aïkido dans la rue pour vous défendre, vous vous rendrez compte que la personne qui a subi une technique d’aïkido ne réattaque pas, preuve que son agressivité a disparu.

Quelque soit la manière choisie pour se défendre, violente ou non, le but est de détruire l’agressivité du partenaire. La méthode violente pour arriver à ses fins détruit l’agresseur, alors que l’aïkidoka ne se porte pas en juge ni en justicier. Il détruit l’agressivité, mais pas l’agresseur. Il y a dans cette attitude une certaine noblesse, un respect de l’autre, de la Vie, qui est ma foi fort honorable.